Prédication apportée par le Pasteur Clémence Bury.
1 Corinthiens 2 : 1-10
*Prière
*Lecture
Nous avons sans doute tous l’apôtre Paul en mémoire, comme le plus grand missionnaire de tous les temps. Il apporta l’Evangile de Jésus-Christ en Asie Mineure et en Europe, et notamment en Grèce dans la ville de Corinthe, où il fit un premier séjour d’environ un an et demi. S’il ne nous le disait pas lui-même, dans notre passage de sa lettre, nous ne pourrions certainement pas l’imaginer prêchant aux Corinthiens, dans un « état de faiblesse, de crainte et de grand tremblement ». Mais cet aveu nous le rend encore plus sympathique. Car aujourd’hui encore beaucoup de prédicateurs se reconnaissent, eux aussi, dans ces difficultés rencontrées par l’Apôtre.
Comment se fait-il que l’annonce de la Parole de Dieu puisse mettre un prédicateur dans une telle situation de faiblesse et de souffrance ? Nous pensons sans doute : S’il est vraiment convaincu de l’utilité et de la vérité de son message, il doit lui être facile de l’annoncer avec joie, et non pas, avec crainte et tremblement. Mais l’Apôtre Paul ne manquait certainement pas de conviction personnelle. Sa rencontre, sur le chemin de Damas, avec Jésus-Christ ressuscité, a entraîné dans sa vie, un changement radical, une conversion irréversible et une vie nouvelle entièrement fidèle à Jésus-Christ.
Les difficultés viennent en vérité, du fait, que les attentes des Corinthiens sont
totalement différentes du témoignage de Dieu, que Paul doit leur annoncer. « J’ai jugé bon, écrit-il de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. » Mais les Corinthiens, eux, préféraient des discours logiques et des démonstrations intelligentes sur Dieu ou sur la supériorité de l’enseignement de Jésus. Que pouvait bien leur apporter la prédication de la croix, qui est, « un scandale pour les juifs et une folie pour les grecs ? »
Comme on peut rencontrer aujourd’hui, parfois des gens, qui accueillent volontiers l’exemple de vie du Christ, mais pas la prédication de la croix. Avant sa conversion sur le chemin de Damas, Paul était, lui aussi, scandalisé, par le fait, qu’un crucifié puisse être considéré par ses disciples, comme Messie et Sauveur d’Israël.
Dans le livre du Deutéronome il est dit, que celui qui est pendu au bois est maudit. Mais, après sa rencontre avec Jésus-Christ ressuscité, Paul a découvert dans la crucifixion une toute autre signification. Comme il connaissait parfaitement l’Ecriture et entre autres les chants du Serviteur de l’Eternel, il a certainement fait le rapprochement avec ce que disait le prophète Esaïe au chapitre 53 : « Cependant, ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé, et nous l’avons considéré comme puni, frappé de Dieu, et humilié. Mais il était blessé pour nos péchés, brisé pour nos iniquités ; le châtiment qui nous donne la paix est tombé sur lui, et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. »
C’est là la sagesse que Dieu lui a révélée par le Saint Esprit, comme il écrit : « A nous, Dieu nous l’a révélé par l’Esprit. Car l’Esprit sonde tout, même les profondeurs de Dieu. » Et Martin Luther emboîtera le pas à l’apôtre Paul, dans son explication du troisième article de la foi chrétienne, où il dit : « Je crois, que je ne puis par ma raison et mes propres forces croire en Jésus-Christ, mon Seigneur, ni venir à lui, mais que le Saint Esprit m’a appelé par l’Evangile et m’a éclairé de ses dons… »
En annonçant Jésus-Christ crucifié aux Corinthiens, Paul les remet tous en question.
Ils se croyaient arrivés à la perfection par une sorte de syncrétisme religieux et philosophique que l’on appelait la Gnose ou la Connaissance. On retrouve aujourd’hui quelque chose de semblable dans le New Age ou « Nouvel Age » ; mais aussi dans l’un ou l’autre mouvement prétendant s’inspirer de l’enseignement de Jésus, comme d’une doctrine révolutionnaire pour refaire le monde. En réalité, toutes ces philosophies ou ces idéologies pensent pouvoir se passer de Dieu et décider elles-mêmes, ce qui est bien et mal. Ainsi on ne revient qu’au malheureux point de départ qui s’appelle la chute ou le péché originel. Quand Paul nous dit que Jésus est mort sur la croix pour nous, cela nous apprend que notre vie dépend de Jésus. Et cela nous oblige à réfléchir sur notre propre situation, sur nos illusions, et, sur nos rapports avec Dieu. Et ces questions ne sont
pas toujours rassurantes, ni même agréables.
Paul écrit aux Corinthiens, et, dès le début de sa lettre, il leur rappelle quelque chose d’important : Sa prédication son message, son discours sur Dieu, ne consiste pas à présenter, à parler d’un Dieu puissant, sur la base d’une argumentation ni d’une sagesse puissante. Pourtant, nous aurions bien souvent envie qu’il en soit ainsi. C’est tout de même de Dieu qu’il s’agit ! Aussi, lorsque nous voulons parler de Dieu, autour de nous, en famille, à des amis, n’importe où en fin de compte, nous pourrions être tentés de présenter Dieu, sur la base d’une argumentation puissante, implacable, irréprochable !, et sur la base d’une sagesse qui dépasse toutes les autres, au point que tous autour de nous s’inclinent devant notre sagesse et donc aussi devant Dieu.
Je vous rappelle que Corinthe est en Grèce. Et en Grèce, à l’époque de Paul, la sagesse était très importante. Primordiale. Il y avait des cercles d’initiations, c’est-à-dire des maîtres réputés pour leur sagesse, qui groupaient et qui attiraient autour d’eux plusieurs personnes.
La sagesse ! Difficile de faire court avec ce terme-clé de la civilisation « grecque ».
L’exploration du savoir, la formation de l’intelligence, la recherche éthique d’une vie bonne et conforme à la volonté divine, tout cela relève de la « sagesse », mais tout cela peut aussi mener à la survalorisation de l’intelligence humaine, au détriment de sa faculté d’écouter autrui et surtout, Dieu. L’argumentation de Paul sera théologique : il présentera la sagesse de Dieu, accessible seulement par la Révélation, et qui n’est autre que sa volonté de salut en Jésus-Christ. La sagesse de Dieu exprime sa volonté de salut pour le monde. Elle est personnifiée dans les écrits sapientiaux, notamment Proverbes 8,1 à 9,12.
Dans la tradition pharisienne, la Sagesse a été identifiée à la Loi/Tora, avec tout ce qu’elle apporte de vivifiant à ceux qui l’observent. Mais la pensée juive hellénistique a poussé plus loin la réflexion, notamment avec Philon d’Alexandrie, faisant de la Sagesse, avec la puissance de Dieu (sophia et dunamis, mots utilisés dans I Cor 2), une entité médiatrice entre Dieu et les humains.
A l’intérieur même de la pensée et de la culture hellénistique et avec ses propres termes, Paul introduit la façon de faire tout autre de Dieu : le médiateur du salut, c’est Jésus-Christ, le crucifié. Cette « sagesse » n’est accessible que par la révélation, qui fait irruption dans notre histoire. Ce que Dieu « cache » (v7) et « révèle » (v10) n’est pas accessible à la sagesse humaine, mais ce sont des moments de l’histoire du salut, dont la première génération de chrétiens, les destinataires de Paul, vivent le « aujourd’hui » voulu par Dieu. Les vv 6-7, par les mots « les accomplis » et « mystère » reprennent un bout du vocabulaire des religions à mystères, très en vogue à cette époque, et aussi à Corinthe. Ces « mystères », qui fonctionnaient par des rites d’initiation et incluaient aussi des états extatiques, répondaient à la recherche, répandue à l’époque, d’un sauveur du monde. Ceci dit, Paul ne développe pas plus loin son clin d’œil, mais passe à la notion d’histoire du salut comme nous venons de l’expliquer.
Ce passage déploie une multitude de mots-clés de la culture ambiante de Paul et du monde hellénistique, qui contiennent un concentré des convictions et des pratiques répandues de l’époque : « sagesse », « puissance », « mystère », « caché- révélé », « discours », « princes de ce monde ». Puis ils sont réinterprétés dans le sens du Christ crucifié qui nous appelle à sa suite !
Permettez-moi la remarque que, à la différence de beaucoup d’expressions de notre actualité, surtout politique, les mots-clés populaires utilisés par Paul ne véhiculent ni la haine, ni la violence, ni l’ignorance, ni l’angoisse, mais pointent vers l’espérance.
La discussion, voire la polémique autour de la sagesse a quelque chose de très
encourageant, à mon avis, dans ces temps où la bêtise délibérée et la simplification dangereuse font recette dans les discours politiques ; on en trouve « en haut » comme « en bas ». Le christianisme ne se positionne pas « contre tout », il s’est développé au milieu d’un foisonnement d’idées, et, comme le dit I Thessaloniciens 5,21 : « Examinez toutes choses, retenez ce qui est bon. »
Revenons aux sages de l’époque, aux philosophes et autres penseurs : Une certaine connaissance du monde – ce qu’on en savait à l’époque – leur intelligence, leur comportement et une certaine facilité à parler faisait que l’on disait de ces gens qu’ils étaient remplis de sagesse. Leurs argumentations faisaient mouche, touchaient les esprits et les cœurs. Ces gens arrivaient à persuader et à convaincre, alors on pensait qu’ils détenaient la vérité, et, de fait, on les suivait et on les imitait. Voici « l’ambiance générale » dans laquelle Paul avait « débarqué » quand il était arrivé à Corinthe. C’est dans ce contexte là que Paul arrive avec son histoire d’un Dieu devenu homme en son Fils Jésus, qui, de plus, est mort sur une croix avant de ressusciter 3 jours après… Et, non seulement c’est une histoire, incroyable, insoutenable, inacceptable – nous on est habitué, à force, ça fait 2000 ans qu’on le dit maintenant –, mais de plus, Paul n’a pas ce pouvoir de l’éloquence, de la parole ni la capacité de persuader, de convaincre, qu’ont les maîtres grecs, en tous cas il ne veut pas l’avoir !
Paul fait remarquer qu’il tient à ne pas subjuguer ses auditeurs par le prestige de l’éloquence ou de la sagesse, il ne veut pas fixer ceux qu’il enseigne sur sa personne, mais les guider vers le Christ. Il laisse le champ libre à l’action de Dieu.
Pourtant – c’est son développement des versets 6 à 9 –, Paul en est convaincu la relation à Dieu apporte LA « sagesse ». Dans le sens que cette relation à Dieu nous aide à vivre ; qu’elle nous apporte, nous donne les meilleurs éléments, les meilleures indications pour savoir comment bien vivre notre vie.
Je voudrais également attirer votre attention sur le fait qu’entre la situation de Paul à l’époque et nous aujourd’hui, il y a beaucoup de choses identiques. Nous sommes aussi à une époque où l’on nous bombarde de messages qui se prétendent être pleins de sagesse, d’intelligence et fondés sur de grandes connaissances. Voyez la publicité, certaines émissions… Et l’on utilise tous les moyens connus et les plus sophistiqués pour nous persuader, pour nous convaincre d’acheter tel produit, d’aller à tel endroit en vacance, de suivre telle idée à la mode, ou même telles pensées, philosophie ou religion… Et nous-mêmes, nous nous sentons bien souvent petits, faibles avec notre « histoire de Jésus ».
Notre histoire n’est pas à la mode. Sans compter que, bien souvent, nous ne savons pas vraiment en parler, nous sommes maladroits et nous ne savons utiliser aucun des « trucs » à la mode pour convaincre… Grande pourrait être là, la tentation de vouloir devenir fort, puissant, et ainsi de convaincre, de persuader facilement et rapidement ceux qui nous entourent. Au point que quelques mots suffisent pour que les gens tombent à genoux et se mettent à adorer Dieu. Ou au moins, qu’ils viennent tous les dimanches nous rejoindre en cette église pour célébrer Dieu avec nous !
Revenons à Paul… Quand il arrive à Corinthe, il est fatigué, seul et faible par rapport à son message, à son discours, à son témoignage sur Jésus le Christ…
Il dit lui même (v. 3) « Moi-même, devant vous, j’étais faible, j’avais peur, je tremblais… ». Mais là dans la faiblesse, ô merveille !, le message de l’évangile, la bonne nouvelle de Jésus cloué sur la croix, ce message « prend », touche les esprits et les cœurs. Au point que plusieurs commencent à croire et qu’une petite église se constitue…
Paul ne peut donc que s’écrier, et c’est notre texte de ce jour : Ce n’est pas la sagesse humaine qui fait naître la foi dans les cœurs, c’est Dieu lui-même… Et puis en même temps, Paul constate que ce qui touche les gens, ce que le Saint-Esprit fait mûrir, ce à quoi le Saint-Esprit « s’accroche » au point de provoquer la foi dans les cœurs, c’est la seule chose qu’il a voulu savoir au milieu d’eux : « Jésus-Christ, et Jésus-Christ cloué sur une croix ».
Les paroles de la sagesse humaine sont un attrait pour l’homme ; mais ce que Paul déployait, c’était l’action du Saint-Esprit qui glorifiait la puissance de Dieu. Celui qui est attiré par la sagesse de l’homme, s’attache à cette sagesse ; celui qui est touché par la puissance de Dieu est mis directement en rapport avec Dieu ; il sait de qui il est enseigné. L’homme est capable d’apprendre toute sorte de choses, mais si ces choses ne le mettent pas directement en rapport avec Dieu, son âme n’y gagnera rien pour l’éternité.
Cela différencie l’intelligence de l’homme de la révélation que nous fait le Saint-Esprit. Les capacités de l’homme n’y sont pour rien, et la conscience du plus grand pécheur est beaucoup plus rapprochée de ces choses que l’intelligence des sages, parce que cette révélation entre en nous par la conscience. Le chrétien ne peut pas prétexter son ignorance ; Pierre était un pêcheur ignorant, mais il était enseigné du Saint-Esprit et pouvait comprendre des choses que, ni le souverain sacrificateur, ni Gamaliel, ne pouvaient comprendre. De plus, le chrétien le plus ignorant, enseigné par le Saint-Esprit, et mis par lui en rapport avec Dieu, est bien plus intelligent dans les choses de Dieu que même le chrétien le plus savant quand il ne cherche pas l’enseignement du Saint-Esprit. L’âme qui se borne à goûter la révélation par l’intelligence n’est pas en position de connaître les choses profondes de Dieu, mais si, comme un pauvre pécheur, vous êtes enseigné de Dieu, quelle certitude, quelle intelligence n’aurez-vous pas !
Quand Paul dit « au milieu de vous, je n’ai rien voulu savoir, sinon Jésus-Christ, et Jésus-Christ cloué sur une croix », ce n’est pas un message, un « reportage » qu’il présentait aux Corinthiens. Il leur parlait d’une personne : Jésus-Christ, Fils de Dieu, cloué sur une croix, et qui donc a connu la faiblesse, la « pauvreté », et qui de fait, mieux que personne ne le comprend, lui Paul, dans cette étape de sa vie, et il leur disait – il leur montrait ! – combien sa relation vivante et quotidienne avec Jésus-Christ lui (re) donne paix, courage, espérance… c’est en vivant simplement notre relation à Dieu dans les moments de faiblesse qui sont les nôtres, que nous témoignons, que nous disons le plus de choses à propos de Jésus. Et que nous permettons au Saint-Esprit de se « saisir » de notre relation avec Dieu pour faire naître la foi dans les cœurs d’autres gens…
La simplicité et l’authenticité de la posture du chrétien et a fortiori du témoin actif de Jésus Christ sont déterminées par l’événement décisif du salut : la croix et la résurrection de Jésus. Puissent cette simplicité et authenticité inspirer nos actes et nos paroles ; n’oublions pas qu’il faut pour cela renoncer, résolument, au désir de focaliser les auditeurs sur l’orateur et s’effacer au bénéfice de la Parole de Vie.
Ce texte de l’apôtre Paul nous invite – comme tant d’autres ! – à « simplement » vivre avec Dieu une relation vivante et quotidienne. Ce, au cœur même de notre faiblesse, de nos difficultés, de nos souffrances, de notre pauvreté… Jésus, lui qui a été cloué sur la croix sait sans doute mieux que personne, ce que cela veut dire d’être abandonné, de souffrir, d’avoir mal, et donc, mieux que personne, il peut nous comprendre et nous accompagner dans ces moments de notre vie. Et puis, nous apprend ce texte, c’est alors que, peut-être même sans l’attendre réellement, comme l’apôtre Paul, il nous sera donné de voir que le Saint-Esprit s’est saisi de ce que nous vivons ou disons pour faire naître la foi dans les cœurs…